La fracture du scaphoïde
La fracture du scaphoïde est fréquente mais souvent méconnue. Un diagnostic rapide et une prise en charge adaptée sont essentiels pour éviter des complications graves comme la pseudarthrose ou l'arthrose du poignet.
Pr Eric Roulot / Main et poignet / Traumatismes / Fracture scaphoide
La fracture du scaphoïde, souvent liée à une chute sur la main, passe fréquemment inaperçue en raison de symptômes discrets. Un diagnostic précoce est indispensable pour éviter la non-consolidation et ses conséquences, telles que la pseudarthrose ou le collapsus carpien.
Le traitement peut être orthopédique ou chirurgical selon la gravité. Une rééducation adaptée permet de retrouver la mobilité du poignet. La prévention des chutes et un suivi médical rigoureux sont essentiels pour limiter les risques de complications.
Qu’est-ce qu'une fracture du scaphoïde au poignet ?
Une fracture fréquente mais souvent méconnue
La fracture du scaphoïde du poignet est à la fois fréquente et redoutable. Elle survient lors de traumatismes relativement simples et touche un os essentiel du carpe : le scaphoïde. Sa symptomatologie est souvent frustre, avec peu de douleurs et peu de limitation fonctionnelle. Cela explique pourquoi cette fracture passe fréquemment inaperçue.
La méconnaissance du diagnostic initial est fréquente. Elle conduit alors à une absence de consolidation de l’os scaphoïde, qui est par nature mal vascularisé et donc difficile à consolider. Cette absence de consolidation est appelée pseudarthrose.
Pseudarthrose et complications : un risque majeur pour le poignet
La pseudarthrose se définit par une absence de consolidation six mois après la fracture. Elle entraîne systématiquement une dégradation arthrosique du poignet. Cette arthrose altère progressivement les surfaces cartilagineuses, d’abord radiocarpiennes, puis rapidement médio-carpiennes. Elle évolue vers une arthrose complète du poignet (radiocarpienne et médiocarpienne).
Cette évolution provoque un affaissement de la hauteur du carpe, appelé collapsus carpien. Lorsqu’il survient après une fracture non consolidée du scaphoïde, on parle de SNAC WRIST (Scaphoid Non-Union Advanced Collapse), que l’on peut traduire par « collapsus carpien secondaire à une fracture non consolidée du scaphoïde ».
Le SNAC WRIST engendre un poignet douloureux et raide. Chez des patients jeunes et souvent sportifs, cela crée un handicap important, pénalisant tant pour les activités quotidiennes que sportives.
Une fois le collapsus installé, les traitements sont uniquement palliatifs et chirurgicaux. Ils visent à stopper l’évolution de l’atteinte et à restaurer un poignet moins douloureux, mais partiellement raide.
Les conséquences des fractures du scaphoïde sont donc particulièrement redoutables. Il est impératif de dépister ces fractures au moindre doute par un bilan radiographique adapté.
Importance du scaphoïde dans la stabilité et la fonction du poignet
Le scaphoïde, par sa forme et sa position, joue un rôle fondamental dans le bon fonctionnement du poignet. Il est en contact, par son pôle supérieur, avec le radius. Il participe aux mouvements permanents de flexion-extension et d’inclinaison radiale et ulnaire grâce à sa surface articulaire avec la surface radiale dite « scaphoïdienne ».
La moindre altération de cette continuité articulaire perturbe le glissement du scaphoïde sous le radius. Cela entraîne des douleurs et une usure arthrosique des surfaces cartilagineuses radioscaphoïdiennes.
Une architecture clé pour la stabilité du carpe, mais vulnérable aux fractures
Cet os du poignet a aussi la particularité d’être oblique à 45° par rapport à l’axe du radius. Il appartient à la fois à la première et à la deuxième rangée des os du carpe. Cette position le rend essentiel à la stabilité du carpe, mais aussi particulièrement exposé aux fractures.
Il constitue l’armature du pilier externe du carpe, formé avec le trapèze et le trapézoïde (bloc scapho-trapézo-trapézoïdien). Ce pilier externe s’oppose au pilier interne, constitué des quatre os : lunatum, triquetrum, capitatum et hamatum.
Causes et facteurs de risque
Causes fréquentes de la fracture du scaphoïde
Le scaphoïde peut se fracturer lors de n’importe quelle chute sur le poignet ou sur la colonne du pouce. La cause la plus fréquente est une simple chute de sa propre hauteur, avec réception sur la paume de la main. Ce type de chute survient régulièrement au cours de la vie.
Les fractures du scaphoïde touchent plus souvent les adolescents et les jeunes adultes. Chez les personnes plus âgées, c’est plutôt l’extrémité inférieure du radius qui se fracture lors d’une chute similaire. Cela s’explique par une diminution de la densité osseuse du radius avec l’âge (ostéopénie), ce qui affecte davantage le radius que le scaphoïde.
Ainsi, une simple glissade avec appui sur la paume peut suffire à provoquer une fracture du scaphoïde. Les chutes à haute vélocité (vélo, moto, cheval, football, trottinette) augmentent encore le risque. Ces activités sont des causes fréquentes de ce type de fracture.
Il est donc essentiel, après une chute avec douleur au poignet, de ne pas banaliser les symptômes. La possibilité d’une fracture du scaphoïde, souvent peu douloureuse, doit toujours être envisagée. Un diagnostic rapide est impératif.
Facteurs de risque
Les fractures du scaphoïde peuvent survenir à tout âge, sans lien avec une fragilité osseuse particulière. Elles restent toutefois rares chez les jeunes enfants. Ces derniers, malgré des chutes fréquentes, se fracturent peu en raison de la souplesse de leurs os en croissance et de leur capacité à mieux absorber les chocs.
Chez les patients de plus de 50 ans, les chutes entraînent plus souvent des fractures de l’extrémité inférieure du radius que du scaphoïde. Ce risque augmente avec l’âge et l’ostéoporose. Cependant, il faut être vigilant : certaines fractures du radius peuvent être associées à une fracture du scaphoïde, notamment selon le type de trait fracturaire.
Les traumatismes à haute vélocité, comme ceux liés à des accidents de moto, peuvent également provoquer des lésions ligamentaires du poignet. Ces lésions s’accompagnent parfois d’une fracture du scaphoïde, en raison de sa position entre la première et la deuxième rangée des os du carpe. Ces traumatismes peuvent entraîner une luxation des os du carpe, notamment les luxations rétrolunaires, souvent associées à une fracture du scaphoïde.
En cas de traumatisme du poignet, il est donc essentiel de consulter un spécialiste connaissant bien ces pathologies. Le diagnostic peut être complexe en raison des nombreuses associations possibles entre fractures et lésions ligamentaires.
Enfin, certaines tumeurs osseuses bénignes, comme les chondromes ou les kystes intra-osseux, peuvent fragiliser le scaphoïde. Ces lésions créent des cavités (géodes) à l’intérieur de l’os, diminuant sa résistance aux traumatismes. Lorsqu’un tel diagnostic est posé, il convient de discuter un curetage avec comblement par greffe osseuse afin de renforcer le scaphoïde et prévenir tout risque de fracture.
Types de fractures du scaphoïde
Fractures en fonction de la localisation
Pour un chirurgien orthopédiste, il est essentiel d’analyser précisément la localisation et l’orientation du trait de fracture. Ces éléments donnent des indications majeures sur le risque évolutif de la fracture.
Certaines fractures entraînent des contraintes mécaniques importantes, favorisant la non-consolidation. Ce risque est particulièrement élevé pour les fractures proximales, où la surface de fracture est plus réduite et la vascularisation du fragment proximal plus difficile.
On distingue ainsi des fractures classées de type 1 à 6, selon leur hauteur sur le scaphoïde :
- Le type 1, situé au pôle proximal, présente un pronostic réservé avec une consolidation très difficile.
- Le type 6 concerne le tubercule distal du scaphoïde. Ces fractures, subdivisées en variantes a, b, c selon l’orientation du trait, ont un pronostic bien plus favorable.
Les fractures polaires proximales (types 1 et 2) exposent souvent à des difficultés de consolidation, avec un risque de nécrose du fragment proximal. Ce risque diminue à mesure que la fracture est plus distale.
Les fractures du tiers moyen du scaphoïde sont les plus fréquentes. Elles présentent également un taux élevé de non-consolidation. Les pseudarthroses qui en résultent sont souvent arthrogènes, en raison de l’affaissement important du scaphoïde qu’elles provoquent.
Classification selon la gravité
La stabilité d’une fracture dépend de sa localisation et de son orientation. Certaines fractures sont naturellement plus stables que d’autres.
Il est indispensable d’évaluer la stabilité et le risque de déplacement dès le diagnostic. Aucun déplacement, même minime, ne peut être toléré pour une fracture du scaphoïde. Une consolidation en mauvaise position est aussi préjudiciable qu’une absence de consolidation. Dans les deux cas, le risque d’évolution vers une arthrose sévère est élevé.
La décision d’un traitement chirurgical doit être basée sur l’aspect, la localisation et le déplacement du trait de fracture. Cette évaluation ne peut être réalisée que par un chirurgien orthopédiste spécialisé.
Les séquelles d’une fracture du scaphoïde mal prise en charge sont importantes. C’est pourquoi l’indication opératoire doit être posée avec rigueur. Une intervention est nécessaire pour toute fracture jugée instable ou déplacée. En revanche, l’âge ou le terrain du patient influencent peu la décision chirurgicale.
Symptômes et diagnostic
Symptômes associés à la fracture
Le principal symptôme d’une fracture du scaphoïde est une douleur au poignet, plus marquée au niveau de la tabatière anatomique. Cette zone, située à la base de la colonne du pouce, servait autrefois à poser le tabac à priser.
L’adage classique que tout médecin doit suivre est :
« Toute douleur de la tabatière anatomique doit être considérée comme une fracture du scaphoïde jusqu’à preuve du contraire. »
De façon plus générale, tout poignet douloureux et gonflé après un traumatisme, même minime, doit conduire à la réalisation d’un bilan complémentaire, au minimum radiographique.
Techniques de diagnostic
Le diagnostic précis d’une fracture du scaphoïde repose sur un bilan radiographique exhaustif. Il est nécessaire de réaliser des incidences spécifiques adaptées à l’orientation du scaphoïde, qui forme un angle de 45° par rapport au radius et à la main.
Ces incidences, appelées incidences de Schnek, permettent une bonne analyse du scaphoïde. Ce bilan, simple à réaliser, est en général suffisant pour détecter les fractures récentes. En cas de doute, il ne faut pas hésiter à compléter par un scanner ou une IRM.
Certaines fractures sont révélées à l’occasion d’une chute, mais peuvent en réalité être anciennes. Ce cas est fréquent. Au moindre doute, il est important d’évaluer l’ancienneté de la fracture et les éventuelles dégradations cartilagineuses associées. Dans ce contexte, la réalisation d’un arthroscanner est recommandée. Une IRM peut être ajoutée si un doute persiste concernant la vitalité du fragment proximal du scaphoïde fracturé.
Traitements de la fracture du scaphoïde
Options non chirurgicales
La plupart des fractures du scaphoïde sont de simples traits sans déplacement et bien orientés. Dans ces cas, un traitement orthopédique par immobilisation plâtrée est possible. On utilise une manchette plâtrée qui immobilise le poignet, sans inclure le pouce ni le coude.
Cette immobilisation doit être maintenue pendant trois mois. Le scaphoïde, mal vascularisé et mal positionné, nécessite plus de temps pour consolider que les autres os du membre supérieur.
Des contrôles radiographiques sont indispensables à six semaines et à trois mois. Le plâtre doit être régulièrement vérifié pour garantir un bon maintien.
Lorsque le traitement est débuté rapidement et bien respecté, il permet souvent d’obtenir une bonne consolidation. Le scaphoïde retrouve alors sa solidité et son efficacité à long terme. Toutefois, en raison de la durée d’immobilisation, une période de rééducation est généralement nécessaire après l’ablation du plâtre pour assouplir le poignet.
Certaines fractures, particulièrement favorables, peuvent bénéficier d’une immobilisation plus courte ou allégée (orthèse sur mesure ou attelle du commerce). Ces cas restent exceptionnels et doivent être évalués par un spécialiste connaissant bien ce type de fracture.
Le traitement chirurgical
Les fractures du scaphoïde qui ne peuvent pas être traitées orthopédiquement nécessitent une prise en charge chirurgicale. L’intervention consiste en une réduction et une ostéosynthèse à l’aide de broches ou de vis adaptées.
En principe, il n’est pas nécessaire d’ajouter une greffe d’os spongieux, sauf en cas de retard dans la prise en charge ou en présence d’un défaut osseux préexistant (comme une tumeur bénigne).
Certains praticiens proposent une intervention chirurgicale dès le départ pour réduire la durée d’immobilisation ou optimiser la consolidation. Cependant, le traitement chirurgical ne garantit pas toujours ces avantages. En cas d’échec, une reprise chirurgicale peut s’avérer nécessaire et devenir plus complexe. Ce choix doit donc être mûrement réfléchi.
Toute fracture déplacée ou présentant une non-consolidation impose un traitement chirurgical. Dans ces cas, une greffe osseuse, le plus souvent cortico-spongieuse, est requise.
En présence d’une pseudarthrose ayant déjà entraîné une dégradation arthrosique du poignet, les options chirurgicales deviennent différentes. Elles s’orientent alors vers des traitements palliatifs, souvent plus pénalisants.
Suivi post opératoire
Le suivi médical après une fracture du scaphoïde est essentiel pour garantir une consolidation optimale et prévenir les complications. Quelle que soit l’option thérapeutique choisie (orthopédique ou chirurgicale), une surveillance rigoureuse s’impose.
Des contrôles radiographiques réguliers permettent de vérifier la bonne évolution de la consolidation. Même après l’ablation du plâtre ou la fin de l’immobilisation, il est important de poursuivre ce suivi afin de s’assurer de l’absence de pseudarthrose ou de déplacement secondaire.
Rééducation
Après l’immobilisation, le poignet est souvent raide et les muscles de l’avant-bras affaiblis. Une rééducation est indispensable pour retrouver une bonne mobilité et force.
La rééducation comprend :
- Des assouplissements : exercices doux pour retrouver les mouvements du poignet.
- Du renforcement musculaire : travail des muscles de la main et du poignet.
- De la stabilité (proprioception) : exercices pour éviter les faux mouvements.
- La reprise des gestes quotidiens : accompagnement pour retrouver une activité normale et, si besoin, sportive.
La durée dépend de la fracture et de la récupération, allant de quelques semaines à plusieurs mois.
Dans certains cas, un suivi à long terme est nécessaire pour surveiller l’articulation et prévenir les complications, notamment l’arthrose.
Temps de récupération et complications
Durée de guérison selon le traitement et la localisation de la fracture
La durée d’immobilisation pour une fracture du scaphoïde ou une pseudarthrose est en général de trois mois. Elle est donc plus longue que pour les autres fractures du poignet. Après ce délai, un enraidissement du poignet peut persister, surtout en cas d’intervention chirurgicale. Il est alors nécessaire d’effectuer une rééducation pour assouplir l’articulation et retrouver une bonne amplitude de mouvement dès le retrait du plâtre.
La force musculaire revient progressivement avec le temps, une fois la consolidation obtenue et lorsque le poignet devient indolore.
Complications possibles
La principale complication d’une fracture du scaphoïde est sa méconnaissance ou un retard de prise en charge. Ces situations peuvent entraîner une non-consolidation.
Plus le délai de rétablissement est long, plus les conséquences sont sévères. Ces non-consolidations, appelées pseudarthroses, ont des effets redoutables et nécessitent une prise en charge chirurgicale dès le diagnostic.
D’autres complications sont communes à toutes les fractures :
- La raideur articulaire, liée à la durée d’immobilisation.
- Le risque d’infection, notamment après un traitement chirurgical.
- La persistance d’une non-consolidation, même après chirurgie.
- La nécrose du fragment proximal du scaphoïde compliquant la prise en charge et aggravant le pronostic.
- La survenue d’un syndrome douloureux régional complexe (algodystrophie), qui peut apparaître en cas de douleurs prolongées après la fracture.
Ces complications nécessitent une surveillance attentive et une prise en charge adaptée pour limiter les séquelles fonctionnelles.
Conseils de prévention
Conseils pour limiter les risques de fracture
Les règles de prudence habituelles sont essentielles pour éviter les chutes. Il est important de respecter les consignes propres à chaque sport et de s’équiper correctement. Par exemple :
- Porter des gants pour la moto.
- Utiliser des protections de poignets pour des activités comme le roller.
En cas de verglas, il est impératif de porter des chaussures adaptées et d’éviter les sols glissants ou les tapis mal fixés.
Il est également recommandé de traiter les anomalies pouvant fragiliser le scaphoïde, comme les kystes ou les chondromes intra-scaphoïdiens, surtout lorsqu’ils sont volumineux.
Prudence chez les personnes à risque et importance d’un suivi médical rapide
Tout poignet douloureux après une chute doit être examiné par un médecin compétent en traumatologie. Au moindre doute, un bilan radiographique adapté à la zone douloureuse est indispensable.
La fracture du scaphoïde doit toujours être évoquée en présence d’une douleur à la pression de la tabatière anatomique, surtout après une chute identifiée.
Un diagnostic rapide permet d’éviter les complications liées à une fracture méconnue, ou traitées trop tardivement.
Arrêt de travail et maladie professionnelle
Durée d’arrêt de travail
La durée d’arrêt de travail pour une fracture du scaphoïde est généralement de 3 mois, correspondant au temps d’immobilisation nécessaire. Cependant, dans certains cas, ce délai peut être raccourci ou prolongé, selon l’évolution de la fracture et le type d’activité professionnelle.
Reconnaissance en maladie professionnelle
Une fracture du scaphoïde ne peut pas être reconnue comme une maladie professionnelle. Elle doit être prise en charge dans le cadre d’un accident du travail, à condition que celui-ci soit déclaré dans les délais réglementaires.
Aucun poste de travail ne peut, en dehors d’un accident, être responsable d’une fracture du scaphoïde.
Reprise et aménagements
Une fois la fracture consolidée, la reprise du travail peut être immédiate ou progressive, selon la persistance de douleurs ou de raideur du poignet. Ces symptômes peuvent durer quelque temps après la consolidation.
Dans certains cas, une reprise à temps partiel ou avec des aménagements (dispense de port de charges lourdes) peut être utile pour faciliter le retour à l’activité.
Un contrôle radiographique à distance peut être nécessaire. Il permet de vérifier l’absence de complications arthrosiques et de s’assurer de la bonne consolidation du scaphoïde. Ce diagnostic de certitude peut parfois être difficile à établir au troisième mois sans imagerie spécifique.